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Sept films à découvrir sur le Web en attendant la réouverture des salles

Il faut attendre le 2 juin pour savoir si les salles de cinéma seront autorisées à rouvrir. En attendant, les plates-formes numériques offrent une multitude d’alternatives.

Le Monde

Publié le 12 mai 2020 à 23h56, modifié le 15 juillet 2021 à 14h57

Temps de Lecture 9 min.

LA LISTE DE LA MATINALE

« La Route de Salina » (1971) de Georges Lautner, avec Mimsy Farmer et Robert Walker Jr.

A voir, « en salle » ce mercredi, Cyril contre Goliath, le récit d’un combat pour sortir un village de son statut de « ville-musée ». Et parmi les pépites à redécouvrir cette semaine, un film énigmatique de Lautner, un chef-d’œuvre de Bogdanovich ou l’inusable Ballon rouge, d’Albert Lamorisse.

« Cyril contre Goliath », l’histoire d’un village confisqué à ses habitants

Cyril contre Goliath relate la belle et vilaine aventure d’un village dont la vie se voit confisquée par un seigneur. Ce pourrait être un conte. C’est en réalité le récit de faits qui se sont produits au début des années 2000, à Lacoste, village médiéval de quatre cents habitants, au cœur du Lubéron. Ce bijou est couronné d’un château qui fut, au XVIIIe siècle, propriété du marquis de Sade dont l’esprit ne s’est jamais tout à fait éteint. A Lacoste, des artistes sont longtemps venus débattre, s’ébattre et s’installer. Dans les années 1950, André Breton, Marx Ernst, Picasso, Man Ray, René Char, et d’autres sculpteurs, peintres, poètes venaient du monde entier. Puis le temps a passé. Tandis que le château du marquis tombait en ruine, un mécène se présenta pour l’acquérir et le restaurer : Pierre Cardin veut faire de Lacoste un « Saint-Tropez local de la culture ». Dès lors, le couturier millionnaire étend sa propriété, rachète une quarantaine de maisons, une dizaine de boutiques et quarante hectares de terre qu’il laisse vides et inexploitées. Lacoste devient, au fait du prince, un village-musée.

L’écrivain Cyril Montana a passé une grande partie de son enfance et de son adolescence à Lacoste. Il y a quelques années, il a choisi de se battre pour redonner vie au village et pousser Cardin à louer ses maisons. Le réalisateur Thomas Bornot a bien voulu le suivre pour construire ensemble ce Cyril et Goliath – récit étape par étape de ce long combat. Le film, qui relève plus du reportage que du documentaire, a tendance à se perdre dans des considérations et des séquences inutiles. On s’en accommode néanmoins, tant ladite histoire a de quoi fasciner, soulever l’indignation, et générer un suspense auquel on se laisse prendre malgré les longueurs qui nous en éloignent. Véronique Cauhapé

Cyril contre Goliath, de Thomas Bornot et Cyril Montana (2019), sur la plate-forme La Vingt-Cinquième heure, 5 € la séance.

« La Route de Salina », petite encyclopédie du cinéma

Le décès du chanteur Daniel Bevilacqua, dit Christophe, le 16 avril, a remis en lumière ce film énigmatique de Georges Lautner (1926-2013) dont l’auteur-interprète d’Aline avait composé une partie de la musique. A 2,99 euros le visionnage, il ne fallait pas se priver d’assouvir sa curiosité. Ce sémaphore est au carrefour de plusieurs influences.

Il y a une fille blonde et vénéneuse (Mimsy Farmer) comme chez Hitchcock, du sable comme dans Zabriskie Point, d’Antonioni, une simplification chromatique comme dans La Chinoise de Godard, un héros (Robert Walker Jr.) séduisant toute une famille comme dans Teorema de Pasolini et même une actrice hollywoodienne, Rita Hayworth, dont ce sera le dernier film.

Lautner, réduit aujourd’hui à sa collaboration avec Michel Audiard (Les Tontons flingueurs), ne rejoint aucun de ces modèles supposés malgré un scénario bien ficelé signé de Pascal Jardin où deux femmes, pour des raisons opposées, feignent de reconnaître un fils et un frère dans un garçon venu de nulle part. Tourné à Lanzarote (Canaries) mais censé se dérouler quelque part en Basse-Californie, ce film allie un décor de western spaghetti à l’esthétique du nouvel Hollywood naissant.

Grand amateur de films de genres, Quentin Tarantino rendit hommage à La Route de Salina, empruntant la musique de Christophe pour Kill Bill. Après cette intrigante parenthèse arty, Lautner retrouvera la veine de son inspiration franco-française, comme si de rien n’était. Philippe Ridet

La Route de Salina, de Georges Lautner (1969), UniversCiné 2,99 €.

« La Dernière Séance », le Texas est une impasse

Pendant qu’on y était, et à ce prix-là, pas de raison pour se priver non plus de revoir le troisième film de Peter Bogdanovich. Né en 1939, critique et cinéaste, il est aux Etats-Unis ce qui se rapproche le plus d’un auteur européen, genre Truffaut ou Godard même s’il n’en a pas l’audace.

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Deux adolescents, Sony (Timothy Bottoms) et Duane (Jeff Bridges) s’ennuient dans leur petite ville en noir et blanc ou rien n’arrive jamais. Une jeune fille de leur âge (Cybill Shepherd) les séduit tour à tour avant de partir à Dallas. Ils jouent au football, s’encanaillent au Mexique tout proche, vont au cinéma le Royal tenu par Sam le lion. Ils roulent dans un pick-up déglingué. L’auto radio diffuse Lovesick Blues de Hank Williams. Le Texas est une impasse.

Plus aventureux, Duane s’active pour quitter la ville avant qu’elle ne s’effondre, travaillant d’abord dans des champs de pétrole puis partant faire la guerre en Corée. Sonny, chèvre attachée à son poteau, ne peut quitter la ville. Il croit aimer la femme de son entraîneur, mais il ne fait que se forger une nouvelle chaîne. Tous ces personnages n’ont pas 20 ans, mais ils ne laisseront personne dire que c’est le plus bel âge de la vie.

Chef-d’œuvre de l’adolescence triste, tiré du roman éponyme de Larry McMurtry, ce film obtint huit nominations aux Oscars sans en obtenir aucun. Cinquante ans plus tard, c’est encore une injustice. Ph. R.

La Dernière Séance, film de Peter Bogdanovich (1971), UniversCiné 2,99 €.

« Le Ballon rouge/The Fall » : deux grands courts à la corde

Sur Mubi, plate-forme cinéphile, deux courts-métrages se pendent à une corde à soixante ans d’écart. La première mène au firmament, la seconde aux enfers. Ici Le Ballon rouge, du Français Albert Lamorisse. Palme d’or 1956 à Cannes. On y suit un garçonnet (le fils du réalisateur, mignon poulbot de 5 ans) qui, lui-même accroché à sa corde, suit un beau ballon rouge qui s’est mystérieusement attaché à lui. Comme de juste, une attaque de petites frappes de Ménilmuche met un terme tragique à cette amitié. Ce film, qui nous fait divaguer du côté magique de l’enfance, ne s’en tient pas là heureusement. Tout cela pourrait paraître aujourd’hui d’une certaine naïveté, jusqu’au trucage artisanal du ballon, mais le film se requalifie aujourd’hui par son aspect documentaire. Paris 1956, ses brouillards élégants, son pavé luisant, ses friches campagnardes, ses venelles disparues, ses gris éperdus sous la pâleur du ciel, son petit peuple, son vitrier, son bus à plate-forme. C’est à présent tout le mystère du film.

A l’autre bout du spectre, The Fall, film anglais diffusé sans crédit sur la BBC en octobre 2019, nous met plus bas que terre. Cinq minutes d’effroi et d’indicible malaise. Soit une forêt – vert profond et ciel de plomb – couleur du cauchemar. Un homme qu’on pend au-dessus d’un gouffre. Une corde qui se déroule infiniment. Une victime partageant le masque de ses agresseurs – visage humain, nez porcin, bouche ouverte en un rictus d’horreur, yeux sans regard. Puis, dans l’obscurité suintante, le type qui remonte doucement. Espoir ou désespérance ? Ce Sisyphe de notre temps, très efficace et très léché, a pour intérêt supplémentaire d’être signé Jonathan Glazer. Réalisateur de clips et auteur d’une poignée de longs-métrages aussi remarqués les uns que les autres, cet Anglais de 54 ans s’est acquis la reconnaissance éternelle des cinéphiles avec le sublime Under the Skin (2013), dans lequel Scarlett Johansson incarnait une créature d’un autre monde venue suavement décimer les hommes de notre planète. The Fall est le premier signe de vie de Glazer depuis lors, dans l’attente de son adaptation du grinçant Zone d’intérêt, roman problématique de son compatriote Martin Amis, qui décrit un triangle amoureux nazi à Auschwitz… Jacques Mandelbaum

Film français d’Albert Lamorisse (0h37). Film anglais de Jonathan Glazer (0h05). Sur Mubi. Sept jours d’essai gratuit.

« La Captive », à la recherche d’une femme mystère

Paolo Branco était en train de produire Le Temps retrouvé (1999) de Raul Ruiz lorsque la cinéaste Chantal Akerman est venue lui proposer une adaptation libre de La Prisonnière de Proust. Jusqu’à la sortie du film, le producteur portugais a caché le fait que La Captive serait d’émanation proustienne. De fait, ce film sans costumes – et c’est le génie de la cinéaste belge Chantal Akerman (1950-2015) – peut se voir sans penser forcément à Albertine, rebaptisée ici Ariane (Sylvie Testud) et confrontée à la jalousie maladive de son compagnon, Simon (le narrateur, interprété par Stanislas Merhar).

Dans ce chef-d’œuvre à l’érotisme abstrait, où les deux amants font leur toilette dans deux salles bains mitoyennes, séparées par une vitre dépolie, Chantal Akerman filme deux êtres enfermés dans un appartement, dont la vie commune semble scellée par un pacte tacite : la jeune femme qui déambule en robe et talons hauts dans le Paris contemporain des beaux quartiers, stylisé, quasi vidé de ses habitants, n’a le droit de quitter le domicile qu’accompagnée d’une amie.

Ariane accepte cette servitude tout en entretenant, par ses non-dits, les doutes de Simon, celui-ci connaissant son attirance pour les femmes : les omissions d’Ariane sont le carburant de Simon (et du couple) pour alimenter ses tourments, et son désir. Le moteur ne doit jamais s’arrêter, et c’est à bord d’une voiture des années 1950, détail anachronique et surréaliste, que Simon arpente la capitale, traversant l’exercice douloureux de la filature, sur une musique de Rachmaninov potentiellement tragique. Clarisse Fabre

La Captive, film franco-belge de Chantal Akerman (1990), sur Arte, 3,99 €.

« L’Acrobate », film-tango « quick quick slow »…

Si L’Acrobate (1976) de Jean-Daniel Pollet (1936-2004) était un objet, ce film serait une boîte à musique parfaitement ouvragée, un coffret que l’on peut rouvrir quarante-cinq ans plus tard pour en admirer à nouveau le comique burlesque, l’audace visuelle, le graphisme des plans millimétrés suivant les pas de son personnage principal, Léon (Claude Melki), tout un poème celui-là : c’est gagné d’avance, Léon est un perdant, employé invisible d’un « bains-douches » où défilent de jolies dames, petit frère d’un Buster Keaton tombé dans le Paris populaire des comptoirs de café et des trottoirs qu’arpente la fille de ses rêves (Laurence Bru), colocataire et bientôt partenaire de danse. Car Léon découvre le tango, et c’est par l’apprentissage acharné et la patience de ses maîtres qui lui livrent les clés du rythme – « quick quick slow » – que Léon s’émancipe sur le parquet de danse.

Puisque la rétrospective consacrée à Jean-Daniel Pollet par la Cinémathèque française, à Paris (prévue du 11 au 29 mars), a été subitement interrompue pour cause de crise sanitaire, le « déconfinement » tout relatif peut être l’occasion d’aller dénicher le livre-DVD paru en 2019 (La Traverse distribution), accompagné d’un texte de Judith Revault d’Allonnes. Claude Melki (1939-1994), découvert par Pollet alors que celui-ci visionnait des rushes sur une guinguette de Nogent, aura permis au cinéaste contemporain de la Nouvelle Vague, injustement méconnu, d’atteindre avec L’Acrobate l’un de ses buts les plus chers : réunir dans un même film l’exigence artistique et le bonheur immédiat d’une comédie populaire. Cl. F.

L’Acrobate, film français de Jean-Daniel Pollet (1976). Livre-DVD, La Traverse, 25 €. Profitez de réductions Rue du Commerce !

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